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Audition de Maître Yves-Bernard Debie, avocat, représentant de la Chambre royale des antiquaires et des négociants en oeuvres d’art de Belgique dans le cadre du Rapport d’information concernant l’optimisation de la coopération entre l’autorité fédérale et Matthys & Debie

Audition de Maître Yves-Bernard Debie, avocat, représentant de la Chambre royale des antiquaires et des négociants en oeuvres d’art de Belgique dans le cadre du Rapport d’information concernant l’optimisation de la coopération entre l’autorité fédérale et

  • Vendredi 10 novembre 2017

Exposé de M. Yves-Bernard Debie :
La Chambre royale des antiquaires et des négociants d’œuvres d’art de Belgique a été fondée en 1919 et représente cent vingt membres. Ses missions princi- pales sont la défense des membres, la défense d’une déontologie – un code éthique aborde les questions du commerce illégal et du blanchiment – et la défense du marché de l’art.
Les membres de la Chambre royale se plaignent de la manière dont le commerce de l’art et ses acteurs sont décrits. Ils considèrent qu’un corpus de règles existe et qu’il n’est pas nécessaire de légiférer une nouvelle fois.
En outre, ils sont d’avis que la Convention d’UNI- DROIT ne doit pas être ratifiée car ils la jugent dange- reuse et contraire au droit positif belge et européen de manière générale.
Cependant, il existe aussi des points de convergence. La dernière décennie a été tragique sur le plan des des- tructions massives de sites archéologiques et de biens culturels. À cet égard, il y a des statistiques précises et des photos satellitaires sont visibles sur Internet, YouTube et CNN. Palmyre a été détruite à coups d’explosifs. On a vu le monastère Mar Elian, près d’Homs, détruit au bulldozer et deux grands bouddhas être explosés en Afghanistan.
Les acteurs du commerce de l’art sont évidemment solidaires face à ce crime terrible. C’est néanmoins un crime de destruction. Le pillage existe et on peut se poser la question de savoir s’il alimente le commerce international de l’art et, dans l’affirmative, dans quelles proportions. Il y a là un point de convergence évident.
Des points de convergence existent aussi sur le plan pratique. Tous les marchands étaient en faveur d’une collaboration avec la cellule « Art et Antiquités » de la police fédérale.
Hélas, cette cellule a été réduite à un seul membre et ses moyens sont proches de zéro. Le temps est loin où cette cellule rassemblait plusieurs personnes et où les acteurs du marché pouvaient dialoguer avec elle.
Dans sa pratique d’avocat spécialisé en droit du com- merce de l’art et des biens culturels, M. Debie est frappé par l’absence totale de spécialisation. Il plaide devant des magistrats qui ignorent tout du droit du commerce de l’art, qui n’est pas un chapitre du Code civil, mais bien une spécialisation reposant sur la jurisprudence et la connaissance des conventions, les règles de base étant les mêmes que pour d’autres types de vols.
La Chambre royale plaide pour la réactivation de la cellule « Art et Antiquités » de la police et l’entrée en lice de magistrats spécialisés, ce qui demanderait évi- demment des moyens.
Un autre problème est celui des inventaires. Il faut disposer de bases de données pour pouvoir vérifier si un objet n’a pas été volé. Art Loss Register est une base de données très intéressante mais elle est privée. Il existe également une base de données étatique mais elle n’est hélas pas accessible aux marchands.
L’orateur plaide en conséquence pour la création d’une base de données accessible à tous et mise régu- lièrement à jour.
La question de l’inventaire est également une question récurrente pour les pays d’origine car c’est une obliga- tion prévue à l’article 5 de la Convention UNESCO.
À l’heure actuelle, force est de constater que le com- merce de l’art est maltraité. La télévision et les journaux parlent de financement du terrorisme, de blanchiment, de filières, etc.
La demande de rapport d’information fait de même en faisant un raccourci entre la guerre du Golfe, la Deuxième Guerre mondiale, les spoliations des nazis, les pillages dans les colonies, les campagnes de pillages des armées françaises révolutionnaires puis napoléoniennes avant de passer sans transition aux vols d’œuvres d’art qui, selon ses termes, seraient plus que jamais d’actualité.
L’orateur constate que les auteurs de la demande de rapport d’information ont manifestement une vision particulière du commerce de l’art. Il se demande sur quelles statistiques sont fondées ces allégations et ce qui permet de dire aujourd’hui que le vol d’œuvres d’art est plus que jamais d’actualité.
Selon ces auteurs, le maillon faible dans la lutte contre le commerce illégal serait la Belgique. Notre pays serait une plaque tournante du commerce illégal d’œuvres d’art. Au moment où la menace terroriste est plus présente que jamais, écrivent-ils, nous devons être attentifs à ce qui fait partie de notre identité et de notre patrimoine commun.
M. Debie se demande où se trouvent les statistiques démontrant que la Belgique est une plaque tournante du commerce illégal d’œuvres d’art et démontrant que le commerce illégal n’a jamais été aussi présent qu’au- jourd’hui. Les journaux se sont fait l’écho d’une saisie record de drogue en Colombie. Où sont ces saisies record de biens culturels illicitement retirés au pays d’origine ?
La Commission européenne a demandé au bureau de consultance Deloitte de réaliser une étude complète. Elle a été rendue au mois de juin 2017. Dans ses conclusions, Deloitte écrit qu’un certain nombre d’effets du trafic de biens culturels ont été relevés dans la littérature. On pense que les effets suivants résultent du trafic de biens culturels : corruption, crime organisé, blanchiment d’argent, financement de factions belligérantes, destruc- tion de patrimoines culturels. Comme le démontrent les enquêtes réalisées auprès des administrations des États membres, les preuves réelles de l’existence de ces effets sont actuellement inexistantes. Un rapport fait pour les Pays-Bas aboutit aux mêmes conclusions. Tous les rapports demandés arrivent aux mêmes conclusions. Il n’y a actuellement pas de statistiques montrant que ce commerce illégal finance Daech et le terrorisme. Aucune statistique ne permet de le démontrer. Le commerce illégal existe, mais il n’y a pas de statistiques.
Annoncer dans un document officiel qu’il n’y a ja- mais eu autant de vols d’œuvres d’art et que le commerce illégal n’a jamais été aussi important est une pétition de principe qui ne repose sur aucun fondement précis. La commission pourrait demander des statistiques précises qu’il faudrait ensuite vérifier. Car, avant de se demander quels sont les remèdes à la maladie, il faut vérifier cette maladie et la quantifier.
Les règles existent et il serait contreproductif d’en promulguer de nouvelles qui les compliqueraient. Le marché de l’art est déjà très compliqué et, par défi- nition, international. Avant d’importer une œuvre, il faut vérifier que c’est possible dans ce pays. Les règles européennes sont également compliquées. Nous avons notamment adhéré à la Convention UNESCO qui, bien qu’elle ne soit pas d’application directe, constitue le texte légal de base pour les parquets.
Le corpus de règles existe donc. Il n’est pas nécessaire de légiférer à nouveau. Il suffirait de se doter de moyens permettant d’appliquer les lois en vigueur. L’argent des contribuables serait mieux utilisé de cette façon.
M. Debie n’est pas partisan de la ratification de la Convention d’UNIDROIT. L’inversion de la charge de la preuve, en particulier, pose problème. En Belgique, l’article 2279 du Code civil prévoit qu’en matière de meubles, la possession vaut titre et qu’il existe une pré- somption de bonne foi. Cette protection du citoyen existe depuis deux cents ans. Elle crée ce que l’on appelle une sécurité juridique obligatoire. L’inversion de la charge de la preuve ne serait pas applicable en Belgique sans changer tout le corpus.
Plusieurs pays se sont déjà penchés sur cette question. La France estime que certaines dispositions d’UNI- DROIT sont incompatibles avec son droit interne, notamment quant à la charge de la preuve qui repose sur l’acquéreur. En droit français – et en droit belge –, le propriétaire d’un bien meuble est présumé de bonne foi. Il n’a donc pas à prouver sa diligence lors de l’acqui- sition de ce bien.
Les délais de prescription sont également probléma- tiques. M. Debie, qui se considère comme un civiliste belge, ne peut envisager un délai de plus de trente ans. Là aussi, il existe une sécurité juridique qui protège tout le monde.
Le Royaume-Uni a décidé de ne pas adhérer à la Convention d’UNIDROIT car elle est en contradiction avec la loi nationale. Une préoccupation particulière est celle de la longueur du délai de prescription contenu dans la Convention d’UNIDROIT, qui est de cinquante ans. Il y a aussi une prescription de trois ans, mais elle débute au moment de la connaissance par le pays d’ori- gine du lieu et de l’emplacement de l’objet. En fait, c’est quasiment imprescriptible, et dès lors inapplicable dans
notre droit positif.
La Convention d’UNIDROIT n’est pas la suite logique de la Convention UNESCO. Son esprit est tota- lement différent. L’article 1er de la Convention UNESCO définit le bien culturel comme un bien qui entre dans les catégories visées à l’article 1er. Pour être protégés, ces biens doivent avoir été désignés par l’État comme étant d’importance. Ils doivent être préalablement listés. La Convention UNESCO n’est pas rétroactive. Et UNIDROIT ne le serait pas non plus. Au sens de la Convention UNESCO, tout est bien culturel mais, pour qu’un bien soit protégé, il doit avoir été préalablement listé ou « classé », selon la terminologie belge.
Une démonstration par l’absurde en découle : le point i des catégories de la Convention UNESCO prévoit les timbres postaux, fiscaux ou en collections. Lorsque l’on poste une carte postale à Rio de Janeiro, on lui a apposé préalablement un timbre de la catégorie i de la Convention UNESCO. Il ne s’agit pas pour autant d’une exportation illégale d’un bien culturel, puisqu’il n’a pas été listé au préalable. Ce listage préalable disparaît tout simplement, s’agissant de l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT). Il s’agit là du troisième point – très compliqué – d’UNIDROIT : le renversement de la charge de la preuve, la prescription et le fait qu’il n’y ait plus de listage préalable. Comme tout est bien culturel, tout est protégé par UNIDROIT. Et tout a un effet direct puisqu’il n’est plus nécessaire de transposer. M. Debie exhorte l’assemblée à ne pas ratifier UNIDROIT.